Depuis vingt ans, la ville d’Antony s’est dotée de machines à voter électroniques, rejoignant une poignée de communes françaises ayant fait ce choix. Si la promesse de rapidité et de modernité séduit, ce mode de scrutin continue d’interroger. Retour sur un dispositif aussi technique que controversé.
Sommaire de l'article
Qu’est-ce qu’une machine à voter électronique ?
Une technologie encadrée par le code électoral
L’article L57-1 du code électoral autorise l’usage de machines à voter dans les communes de plus de 3 500 habitants, à condition qu’elles soient agréées par le ministère de l’Intérieur. À Antony, ce sont des modèles ESF1 du constructeur néerlandais Nedap, distribués par France Élection, qui sont installés dans les bureaux de vote depuis 2005.
Un fonctionnement autonome mais opaque
Chaque appareil fonctionne sans connexion réseau et ne nécessite pas de dépouillement manuel. L’électeur choisit son vote, le confirme, et la machine l’enregistre. Un bouton permet de voter blanc. Les résultats sont imprimés à la fin du scrutin. La machine est activée par le président du bureau de vote et un assesseur tiré au sort, chacun détenant une clé.
Encadré explicatif : Comment vote-t-on avec une machine Nedap ?
- L’électeur est identifié par les assesseurs.
- Il choisit son vote sur l’écran.
- Il vérifie puis valide en appuyant sur une touche.
- La machine se verrouille automatiquement après chaque vote.
Une participation sous condition
Aucun autre mode de vote possible
Pour participer au vote à Antony, l’électeur n’a pas le choix : refuser la machine revient à renoncer à voter. Ce caractère obligatoire interroge, notamment au regard du droit à un scrutin libre et accessible. La France compte aujourd’hui une soixantaine de communes autorisées à utiliser ces appareils, un chiffre restreint depuis le moratoire de 2008.
Des coûts importants pour les collectivités
Certains territoires, comme Castanet-Tolosan, ont renoncé au dispositif pour des raisons budgétaires. Un scrutin à deux tours y coûtait environ 12 000 euros. Le maintien de ces équipements soulève donc aussi des questions de soutenabilité économique. Quel est le coût pour la ville d’Antony ?
Les limites démocratiques du vote électronique
Absence de vérifiabilité par le citoyen
Le modèle ESF1 utilisé à Antony ne produit aucun bulletin papier que l’électeur pourrait vérifier. En cas de contestation, aucun recomptage physique n’est possible. Cela va à l’encontre des recommandations du Conseil de l’Europe qui prônent la possibilité d’un contrôle indépendant du scrutin.
Un système non transparent
Le logiciel embarqué est propriétaire, donc inaccessible au public. Aucun audit externe n’est réalisable, et la sécurité du dispositif repose uniquement sur des certifications internes.
Les exigences d’un vote sincère
J. Alex Halderman est professeur d’informatique à l’Université du Michigan et expert reconnu en cybersécurité électorale. Il défend une conception exigeante du « vote sincère », fondé sur des garanties techniques et démocratiques robustes. Selon lui, un système de vote fiable doit respecter les critères suivants :
- Vérifiabilité individuelle : chaque électeur doit pouvoir s’assurer que son vote a été enregistré fidèlement.
- Auditabilité : le système doit permettre un recomptage indépendant, de préférence via un support papier.
- Sécurité contre les intrusions : les dispositifs doivent être protégés contre tout accès non autorisé, y compris avant et pendant le scrutin.
- Transparence : le fonctionnement du système doit être compréhensible et auditable par des experts comme par les citoyens.
- Résilience à l’erreur humaine ou technique : il ne doit pas être possible qu’un bug ou une mauvaise manipulation compromette les résultats.
- Indépendance du matériel : les systèmes fermés (boîtes noires) sont à proscrire car ils empêchent tout contrôle extérieur.
- Présence de bulletins papier vérifiables : seule une trace physique permet une vérification post-électorale fiable.
Pourquoi le modèle ESF1 utilisé à Antony ne répond pas à ces exigences
Le dispositif actuellement en service à Antony échoue à respecter plusieurs de ces critères. Il ne génère pas de trace papier, ce qui empêche tout audit indépendant. Son logiciel est propriétaire, donc opaque pour les observateurs extérieurs. Les failles de sécurité identifiées sur des modèles similaires montrent que des manipulations internes peuvent rester indétectables. En résumé, le vote électronique tel qu’il est pratiqué aujourd’hui dans la commune ne permet pas de garantir la sincérité du scrutin.
Risques techniques et failles de sécurité
Des incidents non détectables
En l’absence de trace papier, toute altération logicielle reste invisible. Des études ont montré que des machines similaires pouvaient être reprogrammées rapidement. « En l’état actuel des choses, les machines à voter comme le vote par Internet sont des solutions dangereuses. Les technologies se perfectionnent, mais les techniques des hackers aussi… Le ministère de l’Intérieur a systématiquement recensé des bugs lors des diverses expérimentations menées dans les communes françaises. » affirmait Alain Anziani, alors maire de Mérignac, dans le Courier des Maires en 2017.
Un danger pour la souveraineté électorale
Selon le juriste Benjamin Morel, l’impossibilité de prouver une fraude, même en cas de doute sérieux, compromet la légitimité des résultats. Sans moyen de contrôle indépendant, le principe fondamental de la sincérité du scrutin est fragilisé.
Expériences européennes : entre innovation et recul
Le retour au papier dans plusieurs pays
L’Allemagne, la Norvège et la Suisse ont mis fin à leurs expérimentations. En Allemagne, la Cour constitutionnelle a estimé en 2009 que les machines ne permettaient pas un contrôle citoyen sans connaissances techniques. Seule la Belgique poursuit l’usage massif de ces dispositifs, dans un cadre très réglementé.
Une prudence institutionnelle croissante
En France, une tentative d’assouplissement du moratoire en 2021 a été rejetée. Le Conseil de l’Europe recommande de maintenir le vote électronique comme une option, jamais une obligation. L’objectif : préserver la confiance des électeurs dans le processus électoral.
Le Conseil de l’Europe recommande :
- Un vote électronique facultatif
- Un système simple d’utilisation
- Un contrôle indépendant possible
- Une confiance citoyenne à préserver
Un débat à rouvrir à Antony ?
Le rôle de la transparence et du choix citoyen
À Antony, le débat reste ouvert. En 2012 déjà, des élus locaux alertaient sur les dangers du vote électronique. L’absence d’alternative au bulletin papier alimente aujourd’hui encore le malaise, en particulier chez les citoyens sensibles aux enjeux de transparence démocratique.
Une modernisation à reconsidérer
Si la rapidité et la simplicité du processus séduisent, ces bénéfices sont-ils suffisants pour compenser les risques identifiés ? Tant que la machine reste une “boîte noire” invérifiable, la question de sa légitimité démocratique demeure posée.
Sources
- Courrier des maires. « Faut-il restreindre le vote électronique et les machines à voter en France ? », 2023.
- Toute l’Europe. « Élections : pour ou contre le vote électronique ? », 2020.
- Halderman, J. Alex. « Il est facile de pirater l’élection américaine, assurent des spécialistes du vote électronique », Le Monde, 30 décembre 2016.
- PCF Antony. « Vote électronique à Antony : une démocratie sous contrôle ? », 2012.